Poème le plus connu de Guy TIROLIEN (Marie-Galantais, ambassadeur des Nations-Unies au Mali et au Gabon), appris par des générations d’enfants dans de nombreux pays d’Afrique et des Antilles.
C’est un plaidoyer pour un enseignement en adéquation avec le vécu et l’environnement des enfants.
PRIÈRE D’UN PETIT ENFANT NÈGRE
Seigneur
je suis très fatigué
je suis né fatigué
et j’ai beaucoup marché depuis le chant du coq
et le morne est bien haut qui mène à leur école
Seigneur je ne veux plus aller à leur école ;
faites je vous en prie que je n’y aille plus.
Je veux suivre mon père dans les ravines fraiches
Quand la nuit flotte encore dans le mystère des bois
où glissent les esprits que l’aube vient chasser.
Je veux aller pieds nus par les sentiers brûlés
qui longent vers midi les mares assoifées.
Je veux dormir ma sieste au pied des lourds manguiers.
Je veux me réveiller
lorsque là-bas mugit la sirène des blancs
et que l’usine ancrée sur l’océan des cannes
vomit dans la campagne son équipage nègre.
Seigneur je ne veux plus aller à leur école ;
faites je vous en prie que je n’y aille plus.
Ils racontent qu’il faut qu’un petit nègre y aille
pour qu’il devienne pareil aux messieurs de la ville
aux messieurs comme il faut ;
mais moi je ne veux pas devenir comme ils disent
un monsieur de la ville un monsieur comme il faut.
Je préfère flâner le long des sucreries où sont les sacs repus
que gonfle un sucre brun autant que ma peau brune.
Je préfère vers l’heure où la lune amoureuse
parle bas à l’oreille des cocotiers penchés
écouter ce que dit dans la nuit
la voix cassée d’un vieux qui raconte en fumant
les histoires de Zamba et de compère Lapin
et bien d’autres choses encore
qui ne sont pas dans leurs livres.
Les nègres vous le savez n’ont que trop travaillé
pourquoi faut-il de plus apprendre dans des livres
qui nous parlent de choses qui ne sont point d’ici.
Et puis elle est vraiment trop triste leur école
triste comme
ces messieurs de la ville
ces messieurs comme il faut
qui ne savent plus danser le soir au clair de lune
qui ne savent plus marcher sur la chair de leurs pieds
qui ne savent plus conter les contes aux veillées.
Seigneur je ne veux plus aller à leur école.
Guy Tirolien (1917 – 1988)
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